A propos de Boris Raux
Dans son Traité des sensations, rédigé en 1754, Condillac débute sa démonstration en posant l’hypothèse d’un être – une « sculpture » – auquel n’aurait été donné que le sens olfactif. Bien que ne pouvant percevoir et connaître que des odeurs, cet être est capable d’attention, sujet aux plaisirs et aux peines, aux passions, à l’amour, la haine et l’espérance, capable de volonté et de désir. Il a des idées, éprouve contentement et mécontentement, sait mémoriser, ce qui lui donne la faculté de distinguer les nuances. Son sommeil est peuplé de songes. Bref, le seul sens olfactif permet, selon Condillac, de développer une personnalité, un moi. Et l’abbé de conclure : « Avec un seul sens, l’âme a le germe de toutes ses facultés. Ayant prouvé que notre statue est capable de donner son attention, de se ressouvenir, de comparer, de juger, de discerner, d’imaginer ; qu’elle a des notions abstraites, des idées de nombre et de durée ; qu’elle connaît des vérités générales et particulières ; qu’elle forme des désirs, se fait des passions, aime, hait, veut ; qu’elle est capable d’espérance, de crainte et d’étonnement ; et qu’enfin elle contracte des habitudes : nous devons conclure qu’avec un seul sens l’entendement a autant de facultés, qu’avec les cinq réunis. »
Condillac poursuit son propos en combinant l’odorat à l’ouïe, puis en y ajoutant le goût. Dans la suite de son traité, il imagine que sa « statue » n’est dotée que du sens du toucher, puis il y adjoint progressivement l’odorat, l’ouïe et le goût. Il en conclut qu’il n’y a pas de facultés ni d’idées innées, que l’ordre naturel des choses prend sa source dans les sensations, que la façon dont les hommes perçoivent et ressentent les choses varie d’un individu à l’autre, qu’un être n’est jamais que ce qu’il a acquis par ses sens et que, de tous les sens, l’odorat est, en comparaison avec le toucher et la vue, celui qui contribue le moins à la connaissance humaine. En ce dernier point, il anticipe sur Kant puis Hegel qui dénieront à l’odorat toute aptitude à servir de base à une expression artistique. En revanche, il fait écho à l’approche libertaire de Léonard de Vinci qui écrivait : « Parmi les cinq sens, la vue, l’ouïe et l’odorat connaissent moins d’interdits que le toucher et le goût. »
Mais l’olfactif est-il vraiment un sens mal aimé, négligé par les artistes ? Dans ses Corres- pondances, Baudelaire lui donne un rôle prépondérant :
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
Tout comme Yves Bonnefoy :
Odeurs, couleurs, saveurs,
Le même songe,
Colombes dans l’ailleurs
Du roucoulement.
Hugo le qualifie de « mystérieux aide-mémoire », Rousseau de « sens de l’imagination ». Du Mau- rier place les odeurs, à l’égal des sons musicaux comme, « rares sublimateurs de l’essence de la mémoire ». Le Livre des Proverbes, dans la Bible, rappelle que « le parfum et la variété des odeurs est la joie du cœur. » Consensus, donc, en littérature, même si Nougé se démarque du courant général en déclarant : « Les idées n’ont pas d’odeur. » En revanche, les références deviennent rares, voire inexistantes, quand on aborde les autres secteurs de l’activité créatrice. Les odeurs ne sont jamais des sources d’inspiration pour les musiciens ni pour les plasticiens. On connaît de nombreux cas de synesthésie de la musique vers les couleurs, notamment chez Franz Liszt, Nikolaï Rimski- Korsakov, Alexandre Scriabine, Jean Sibelius, Olivier Messiaen, György Ligeti ou Duke Ellington, ou bien encore chez le peintre David Hockney. Wassily Kandinsky présentait le cas opposé d’association de sonorités à des couleurs. Vladimir Nabokov, lui, dérivait des couleurs des signes graphiques... On peut signaler un cas rare et récent de synesthésie goût vers musique, chez Bruno Mantovani, dans sa récente création Le Livre des illusions « Hommage à Ferran Adrià ». Mais d’odeurs, point...
Boris Raux se distingue des artistes plasticiens ou musiciens contemporains en donnant une place prépondérante aux odeurs. Dans ses travaux, il réactualise, à sa façon, la pensée de Condillac. Il s’exprime sur sa démarche : « L’odeur est l’outil principal de mes recherches plastiques. J’investis le champ du politique et de l’art au travers de notre univers olfactif pour construire au fil du temps une chronique olfactive de la société. Notre univers olfactif est un formidable point d’entrée sur notre société. L’odeur trahit notre inconscient, oriente nos comportements, révèle notre intimité... Fu- gace mais omniprésente, son empreinte se laisse partout sentir. Elle nous submerge. Nous pouvons détourner le regard, ne pas écouter, éviter le contact mais arrêter de sentir, c’est arrêter de respirer et donc d’exister. Invisible mais physiquement présente, elle cultive le flou avec succès. Notre faible vocabulaire pour la caractériser, force notre imaginaire, nous plonge dans les non-dits et les pensées abstraites. Notre univers olfactif est, pour moi, un formidable point d’entrée sur notre société, riche en possibilités. »
Boris Raux retient le terme « plastique » pour qualifier ses travaux. C’est que, contraire- ment à la démarche de Condillac, il entrelace étroitement l’odorat avec les autres sens pour recons- truire une globalité perceptive – plastique, donc – mais dont le cœur reste l’odeur. Il peut nous donner à voir un escalier tout entier constitué de blocs de savon de Marseille, un monochrome blanc réalise avec un produit ménager récurant, un alignement de flacons de parfums, de produits corporels, des verrines remplies de gel-douche ou de shampoing multicolore, un tapis de flacons de déodorants sur lequel le spectateur est invité à marcher, un liquide lave-vitre qui, en circuit fermé, est condamné à ne laver que sa propre trace...
La première sensation est purement visuelle, un peu aguicheuse, dans l’esprit des travaux des artistes du groupe Ready-made colors, jouant sur le registre d’une séduction, certes facile, mais combien efficace. Il est vrai que Raux fréquente depuis longtemps le sculpteur Konrad Loder, dont il est l’assistant et partage l’atelier. Il a en commun avec ce « maître » la recherche de la séduction de la forme, de la plénitude de la courbe et de l’efficacité de la ligne. En commun, aussi, l’attrait pour les formes empruntées, plus que celles créées ex nihilo. Mais la comparaison s’arrête ici. Là où Loder se restreint à un registre de couleurs sourdes, en syntonie avec la pauvreté de sa matière première, Raux s’en donne à cœur joie et cultive les couleurs vives, criardes, qu’il juxtapose dans un grand geste iconoclaste et baroque, récusant des siècles d’histoire de la peinture et de « bon goût ». Nous ne sommes plus dans le registre des arts plastiques, mais dans celui du marketing et des rayonnages des supermarchés, où la couleur est revendiquée comme outil de séduction du chaland. C’est cette pulsion vers le spectaculaire racoleur qui m’avait fait dire à l’artiste, lors de ma première visite dans son atelier, que sa démarche était « un peu pute ».
Ce n’est que dans une seconde étape, après la phase d’assommement par le chatoiement provocateur des couleurs, que j’ai pris conscience des odeurs, trop peu habitué à être confronté avec une œuvre d’art qui sollicite ce sens. Vint ensuite la perception de l’intense critique sociale – sociétale – et politique latente dans l’œuvre de Raux. Car il s’agit, avant tout, d’un processus de détournement – pour ne pas dire de retournement –, de rébellion de l’objet contre sa finalité fonctionnelle et mercan- tile – on pourrait dire une « révolte ontologique », si les objets avaient une âme, comme le revendique Lamartine –. Partant d’objets bien connus, aux fonctions cernées et cantonnées à un usage défini, le plus souvent domestique, Raux les accumule et en sature l’espace en une sorte de chaos conceptuel mais qui répond cependant à tous les critères d’organisation d’une œuvre plastique. Le spectateur est interpellé par cette opposition entre le détournement grotesque et excessif de la finalité de ces objets et leur agencement dans une monstration plastique irréprochable, jolie, même, bien souvent. Il est piégé, rattrapé, non sans humour, par les mécanismes qui structurent notre quotidien. Un humour franchement iconoclaste, une volonté de déranger, de provoquer, de se démarquer de la cohorte des pratiques à la mode ou bien ancrées dans une histoire jugée trop pesante. Mais au-delà de ce que l’on pourrait considérer comme superficiel et anecdotique, la démarche de Raux nous questionne et interpelle notre société sur de nombreux sujets essentiels.
Le premier est celui de la manipulation et du conditionnement des masses. Je me sou- viens avoir visité, il y a plusieurs années, les coulisses de Disneyworld à Orlando, en Floride. Ce qui m’avait le plus marqué – et fait peur – était, somme toute, un détail dans cette vaste entreprise de décervelage. L’odeur de gaufre chaude et sucrée qui prévaut un peu partout dans le parc d’attraction est, en fait, totalement artificielle, propagée par des diffuseurs, dans le sol, pour donner confiance aux visiteurs, leur rappeler leur enfance et les inciter à dépenser leur argent... Raux met en scène ces tendances pulsionnelles, les détourne, les subvertit pour nous questionner sur la réalité de notre libre- arbitre devant les agressions d’un conditionnement scientifiquement élaboré, avec des fins essen- tiellement mercantiles mais qui, détournées, pourraient devenir un dangereux outil d’asservissement collectif. Ne serions-nous pas manipulés par les odeurs, au même titre que par les slogans et les images ? Raux parle d’ailleurs d’« infiltration », terme polysémique qui s’applique bien à la diffusion des odeurs mais a aussi de nombreux relents politiques et sociaux...
Le deuxième point est celui de la réalité de l’odeur et de son positionnement par rapport aux composantes plus traditionnelles des arts plastiques : formes, couleurs, volumes, ombres, sujet, fond... L’enjeu est ici celui du désir et de la sensualité, comme l’a fort bien remarqué Philippe Sollers : « Les affaires de désir ont lieu dans le nez : buée, fumée, rosée, ondes, particules, répulsions ou attractions invisibles, odeurs en creux et limaille en l’air. » Raux se pose en architecte du désir, d’un désir non matérialisé – pas de forme pour le fixer, pas d’écriture, de photographie ni d’enregistrement sonore pour le conserver – même si les odeurs sont, de fait, plus matérielles que ne le sont les ondes lumineuses ou sonores. Elles sont aussi plus insidieuses et pénétrantes, intrusives. Elles se fixent dans les vêtements, les cheveux, sur le corps du visiteur qui les transporte hors du lieu de leur émergence, ce que la vue, l’ouïe, le toucher, le goût ne permettent. Elles remettent donc en question les trois dimensions de la géométrie et de l’esthétique traditionnelles en les parasitant, sans que l’on puisse facilement s’en débarrasser comme on le ferait du temps ou d’une des dimensions spa- tiales, en prenant un cliché photographique, par exemple. Les odeurs, apparemment immatérielles mais bien matérielles, perçues comme virtuelles tout en étant réelles, nous interrogent sur plusieurs aspects des arts plastiques de notre temps. Elles nous invitent, pour peu que l’on veuille s’y inté- resser, à nous poser des questions essentielles sur le transitoire, sur l’éphémère, sur les processus de mémorisation, sur la fragilité et sur la subjectivité de nos modes de perception du monde. Cette subjectivité des perceptions, Sade la soulignait déjà dans sa Justine ou les malheurs de la vertu : « Les trois quarts de l’univers peuvent trouver délicieuse l’odeur d’une rose, sans que cela puisse servir de preuve, ni pour condamner le quart qui pourrait la trouver mauvaise, ni pour démontrer que cette odeur soit véritablement agréable. »
Le troisième point est celui de la saturation. Les odeurs remplissent l’espace qui leur est donné au point de se l’approprier. Jules Renard insistait sur cette présence qui peut devenir impor- tune, quand il écrivait, dans son Journal : « L’odeur d’un coquillage putréfié suffit pour accuser toute la mer. » L’odeur pose la question de l’espace et de son occupation. Comment le volatil peut rivaliser, au premier abord, avec le ferme et le permanent, au point de l’occulter. Comment on s’y accoutume progressivement. Comment, en s’en imprégnant, on arrive à en faire abstraction pour redécouvrir l’espace et ce qui l’occupe. C’est une belle métaphore du processus cognitif en ce qu’il a de progressif et de stratifié. L’odeur que j’emporte avec moi, dans mes vêtements, perpétue pour d’autres, qui la sentiront, une perception dématérialisée et décontextualisée de l’œuvre que j’ai vue. A
l’inverse, à l’instar de la madeleine de Proust, une odeur va me rappeler des situations passées, des contextes qui me sont personnels et qui vont brouiller, parasiter à leur manière, la perception que je vais avoir de l’œuvre que je découvre. Un autre spectateur de la même œuvre, récepteur des mêmes odeurs, en tirera des images et des réactions différentes. Subjectivité de la perception même en cas de saturation de l’espace. Notons, d’ailleurs, que la notion de « saturation » n’impose pas toujours l’accumulation d’objets et d’odeurs jusqu’à la nausée ou jusqu’aux limites de l’espace d’exposition. Raux a composé quelques Portraits de proches ou d’amis, dans lesquels les modèles sont figurés par les produits corporels ou des parfums qu’ils utilisent, sagement alignés sur une étagère, comme dans une nature morte de Morandi. Tout est dit... On ne peut rien ajouter, sauf à sortir de ce registre d’expression. Le sens est donc, ici, à saturation.
Le quatrième point est un écho à Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues : « Odeur (des pieds) : signe de santé. » Il s’agit des odeurs individuelles. Même si l’homme a perdu une bonne partie des capacités olfactives de ses ancêtres primitifs, il n’en reste pas moins vrai que ses odeurs constituent une signature unique, qui peut être perçue et reconnue par des tiers. Qui n’a jamais détecté certaine présence féminine d’abord par l’odeur d’un parfum familier, avant même que la vue ne confirme sa réalité ? Raux, dans ses œuvres, pose la question de l’individualisation des odeurs, de leur caractère intrinsèque ou extrinsèque à l’individu ou à l’objet. L’exposition à des odeurs fortes n’est-elle pas de nature à altérer notre propre signature odoriférante ou à la démultiplier ? En quoi ceci peut modifier notre comportement ou notre perception de l’autre, de l’univers ? Autant de questions formulées et qui attendent des réponses individuelles de chacun d’entre nous.
Le cinquième point est celui de la liberté individuelle. Je peux fermer les yeux pour ne pas voir, me boucher les oreilles pour ne pas entendre, garder la bouche fermée pour ne pas goûter et les mains dans les poches pour ne pas toucher, mais je ne peux pas m’abstraire des odeurs, sauf à cesser de respirer et à mettre ma vie en péril. Je ne peux que me retirer, fuir, mais j’emporterai probablement, dans les plis de mes vêtements, dans mes cheveux et sur ma peau, une partie de ces odeurs, jusqu’à ce qu’elles s’atténuent ou que je les lave. Dans ses installations, Raux nous impose donc un univers olfactif qui nous assaille et s’oppose à notre volonté, réduisant ainsi notre liberté individuelle. Il pose donc clairement la question du caractère agressif et liberticide de ce qu’il désigne sous le terme de « marketing olfactif ».
Le sixième point gravite autour de la notion de toxicité. Tous ces liquides colorés, à l’aspect racoleur, ne sont-ils pas des leurres cachant de redoutables poisons. Poisons pour l’individu ou, plus probablement, pour l’environnement, quand ils sont utilisés en quantité. Raux se pose ainsi en chantre d’une responsabilité écologique, nous obligeant à nous demander si tel gel-douche aux cou- leurs aguichantes, tel produit ménager à l’odeur attirante n’est pas le Zyklon-B, l’amiante, le pyralène ou le DDT de demain. Il en appelle à notre responsabilité individuelle et collective pour que le monde de nos enfants soit encore vivable. Mais il y a aussi un peu de perversité dans la démarche de Raux. En effet, en présentant une accumulation de produits ménagers, dont la quantité ne peut faire éluder l’interrogation sur leur toxicité, il pose la question du rapport de l’œuvre à son lieu d’exposition. Ses œuvres rendent les espaces où elles sont exposées proprement invisitables, insupportables, malgré leur aspect de classiques monochromes désormais présents dans toutes les collections d’art contem- porain. Son travail est « écologiquement obscène ». Les règles de sécurité, le droit du travail et la moralisation écologique émergente rendent son travail interdit à la monstration. Raux cite volontiers, à titre de comparaison, l’exposition Dan Flavin, au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, lors de laquelle les gardiens devaient, par mesure de sécurité, porter des lunettes et sortir toutes les heures. Il est donc question, ici, de l’impact que peut avoir une œuvre d’art sur l’organisation de son exposi- tion et sur le système de sa diffusion. Une œuvre « immontrable » peut-elle être exposée ? Et un lieu d’art incapable d’accueillir de l’art reste-il un lieu d’art ou est-il en situation d’échec ?
Le septième et dernier – mais on pourrait probablement en trouver d’autres – point pose la question du naturel et de l’artificiel, de l’abstraction. Pourquoi un liquide pour la vaisselle sent-il le citron ? Est-ce nécessaire ? Utile ? Les produits synthétiques que nous livre la chimie industrielle n’ont, le plus souvent, pas d’odeur. Par quel phénomène de distanciation dévoyée lui en attribue-t-on une ? Au point de devenir une nouvelle normalité. Si un savon n’avait pas d’odeur, un shampoing était incolore, il deviendrait suspect. L’artificiel en vient à primer sur le naturel. Pour beaucoup d’enfants, les poissons sont des petits parallélépipèdes panés dans des boîtes en carton, les fruits des couleurs dans une boisson lactée. Est-ce grave ou non ? Y a-t-il là un danger pour notre identité humaine ou un registre pour une expression nouvelle, un réservoir de créativité sans référence au naturel, dans la pure abstraction ? Tels sont les questionnements auxquels Raux nous pousse.
Freud pensait que l’effacement du sens olfactif au profit des autres sens avait été un des facteurs décisifs de la différentiation entre animaux et humains et une condition nécessaire au déve- loppement de la civilisation. Par son propos de réhabilitation de ce sens négligé par les artistes, Boris Raux lui apporte un démenti critique, tout en attirant notre attention sur ses dangers pour l’individu et pour la société. Sa critique joue sur plusieurs registres. Tout d’abord sur celui de la condamnation d’une société qui dépense des trésors de créativité futile pour distinguer des produits qui, in fine, remplissent les mêmes fonctions. Sur celui du factice et de l’artificiel qui n’hésitent pas à jouer sur la séduction des couleurs pour forcer le choix du client consommateur, triste image de la faiblesse hu- maine prête à succomber aux sirènes d’un marketing aux moyens dérisoires. Sur celui de la sécurité : ces beaux produits ne sont-ils pas toxiques, dangereux pour moi qui vais succomber à la tentation de les mettre dans mon caddy ? Sur celui, enfin, de l’écologie, des risques que cette profusion de couleurs et de produits fait subir à notre environnement.
Louis Doucet
collectionneur